Skip to content.

La Cour d’appel du Québec commente le rôle du représentant d’une action collective et ses interactions avec son procureur, dans le cadre de procédures abusives

Dans un arrêt rendu le 19 février 2018 dans le dossier Deraspe c. Zinc électrolytique du Canada Ltée [1], la Cour d’appel du Québec (les juges Dutil et Roy, avec dissidence du juge Rancourt) a confirmé la décision de la Cour supérieure déclarant que le représentant d’une action collective et son procureur avaient fait preuve d’un comportement vexatoire et les disqualifiant d’agir dans le dossier. Dans ce contexte, la majorité de la Cour d’appel à émis des commentaires intéressants sur le rôle attendu de la part du représentant d’une action collective.

Résumé des faits

En août 2004, une émission accidentelle de trioxyde de soufre a eu lieu à la raffinerie opérée par la défenderesse, au Québec. Peu après, une demande en autorisation d’exercer une action collective a été déposée par Deraspe et sa procureure. Suite à une histoire procédurale longue et complexe, l’action collective a été autorisée par la Cour supérieure en mars 2012.

Après l’autorisation de l’action collective, Deraspe a demandé à la Cour d’ajouter au litige des sociétés affiliées à la défenderesse, en alléguant collusion et fraude visant à priver les membres du recours d’une compensation potentielle. Au courant des années suivantes, Deraspe et son avocate ont multiplié les procédures à cette fin. En mars 2014, la Cour supérieure a rejeté les réclamations envers les tierces parties, une décision qui fut ensuite confirmée par la Cour d’appel.

Suite à trois années de procédures qui étaient accessoires aux enjeux principaux soulevés par l’action collective, la défenderesse a présenté une requête pour déclarer Deraspe et sa procureure inhabiles à continuer d’agir, en raison de leur conduite abusive et du fait qu’ils n’agissaient pas dans l’intérêt des membres. En septembre 2015, la Cour supérieure a conclu que tant le demandeur que son avocate avaient agi de façon vexatoire, qu’ils n’étaient plus en mesure de représenter adéquatement les membres du recours, et les a disqualifiés à continuer d’agir dans le dossier, tout en prenant des mesures afin de permettre à un nouveau représentant de poursuivre l’instance.

Le jugement de la Cour d’appel du Québec

La majorité de la formation de la Cour d’appel du Québec disposant du pourvoi a confirmé la décision de la Cour supérieure dans son intégralité, rejetant l’appel de Deraspe. Il est à noter que, dans l’intervalle, l’ancienne avocate de ce dernier avait été radiée du Barreau du Québec et son appel est devenu caduc.

Dans leurs motifs, les juges majoritaires expliquent qu’ils n’ont identifié aucune erreur manifeste et déterminante quant à la conclusion que Deraspe n’était pas une « victime innocente » mais qu’il avait plutôt agit de concert avec son avocate[2]. La Cour a indiqué qu’une partie ne peut pas se distancier des faux pas de son procureur sans faire la preuve de sa diligence personnelle[3]. Ainsi, Deraspe ne pouvait pas se « cacher derrière son avocate » pour excuser son propre comportement, alors qu’il avait suivi activement le dossier auquel il avait participé et qu’il était en position de réaliser le caractère inapproprié des interventions de son avocate, dénoncées dans des jugements[4].

La majorité de la Cour rappelle que le représentant d’une action collective est le fiduciaire des intérêts des membres absents et qu’il a été désigné ainsi en fonction de sa capacité à gérer convenablement le recours[5]. Il n’est pas un « simple figurant ». Le représentant a l’autorité nécessaire pour donner des instructions à l’avocat, et il peut choisir de changer d’avocat si cette décision est dans l’intérêt des membres[6]. Conclure autrement reviendrait à accepter que le représentant dans une action collective n’est qu’ « un pantin manipulé par son avocat » [7].

En tout temps au cours d’une action collective, la Cour peut prescrire des mesures pour veiller au bon déroulement de l’instance, en particulier face à des cas d’abus[8]. Par conséquent, la majorité de la Cour d’appel du Québec a conclu que la Cour supérieure était justifiée d’avoir retenu un remède exceptionnel, face à une situation exceptionnelle.

Nos commentaires

Les propos des juges majoritaires dans l’affaire Deraspe c. Zinc électrolytique du Canada Ltée sont un rappel que le rôle du représentant d’une action collective implique des responsabilités qui ne peuvent être aveuglément déléguées à l’avocat du recours.

Lors des dernières années, la Cour suprême du Canada[9] et la Cour d’appel du Québec[10]ont favorisé une approche libérale pour évaluer le caractère adéquat du représentant en matière d’action collective, suggérant que les exigences à ce sujet sont minimales. Bien que les avocats puissent être appelés à jouer un rôle important dans les actions collectives, le représentant demeure le fiduciaire des intérêts des membres absents, et il doit gérer le recours en conséquence. Même une fois l’action collective autorisée, le représentant doit être prêt à démontrer un contrôle suffisant de même que sa diligence face au processus.

Dans la mesure où le représentant d’une action collective fait défaut de gérer adéquatement le recours, et plus particulièrement dans le contexte de procédures abusives, la Cour peut prendre les mesures afin d’assurer le bon déroulement de l’instance, ce qui peut exceptionnellement aller jusqu’à une ordonnance pour remplacer le représentant.

 


[1] 2018 QCCA 256. Pour le jugement de la Cour supérieure, voir 2015 QCCS 4285.

[2] Parag. 34.

[3] Parag. 9.

[4] Parag. 35.

[5] Parag. 38.

[6] Parag. 40.

[7] Parag. 40.

[8] Parag. 41.

[9] Infineon Technologies et al. c. Options Consommateurs, [2013] 3 RCS 600.

[10] Par exemple, voir Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA 1299.

Authors